Le journal du sexe

Si les fellations sont légion sur grand écran, le cunnilingus, équivalent féminin, peine lui à s'imposer. La surreprésentation masculine côté réalisateurs explique sans doute en partie cette situation. Pourtant, en passant par le cinéma indépendant, cette pratique s'est progressivement frayé un chemin jusqu'à avoir les honneurs des films mainstream. Récit d'une émergence tant attendue.

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La virilité du monde du Septième Art - une seule Palme d'Or à une femme en 64 ans d'existence, ça laisse songeur - a engendré une représentation de la sexualité féminine soumise aux fantasmes masculins. Ainsi la prolifération de séquences à caractère lesbien, auxquelles le cunnilingus fut longtemps réservé. Deux jolies actrices dans des positions saphiques, rien de tel pour captiver le public, même si les mises en scène se révèlent le plus souvent pudiquement elliptiques. Dans Femme fatale de Brian de Palma (2001), alors qu'on devrait être troublé lorsque Rebecca Romijn entreprend une Rie Rasmussen outrageusement dénudée dans les toilettes du Palais des Festivals de Cannes, seule une impression de papier glacé glamour s'impose. Pas d'imperfection dans cette séquence hygiéniste, où pas un cheveu (ni un poil) ne dépasse, quitte à ressembler à une pantomime sexuelle désincarnée.

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Constat légèrement différent dans la scène lesbienne de Black Swan (2010). Natalie Portman est le joujou sexuel de Mila Kunis lors d'un cunni maîtrisé et assumé : séquence longue, corps lascifs et humides, jouissance presque crédible. Dommage qu'Aronofsky mette en scène deux personnages féminins, car ce choix implique une fois encore inconsciemment que le sexe oral est une pratique éminemment féminine. Idéale pour le voyeurisme des hommes (fantasme) mais sa translation hétéro ne coule pas de source.

 

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Hetero erecto

Comme souvent c'est vers le cinéma indépendant qu'il faut tourner son regard pour trouver un traitement pertinent de cette pratique sexuelle. Si Pedro Amodovar le traite à l'aveugle avec humour dans Talons aiguilles ( Victoria Abril suspendue à une barre découvre l'orgasme par les lèvres de Miguel Bose) et David Lynch en donne une version hypnotique dans un night-club décadent (Twin Peaks), certains ont préféré filmer frontalement cet obscur objet du plaisir. Larry Clark, sulfureux réalisateur de l'adolescence, donne à voir dans Ken Park une relation sexuelle peu commune : un jeune garçon apprend à pratiquer le cunnilingus avec la mère d'un de ses potes. Cette séquence ne s'embarrasse pas de glamour. Au contraire, sa crudité offre au spectateur une séance d'apprentissage peu érotisée mais dérangeante et excitante à la fois, à la frontière du porno.

 

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Si le parti-pris de David Cronenberg se révèle plus sage dans A history of violence (le sexe n'est pas visible), la mise en scène surprend par son naturel. Un couple « normal » s'adonne aux joies du cunnilingus avec une spontanéité déconcertante. Aucunement fantasmatique, volontairement réaliste, cette séquence respire la simplicité, intègre le sexe oral à une relation de couple (et non à un coup vite fait dans des toilettes avec un inconnu) et le normalise, au contraire de la plupart des occurrences cinématographiques.

 

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Lingua lambda

La machine mainstream étant toujours prompte à récupérer les thèmes subversifs du cinéma indépendant pour les recracher dans une version édulcorée, elle n'a bien sûr pas oublié de faire un sort au bon vieux cunni. La réalisatrice Sofia Coppola, plus entertainer que le vernis indé qu'elle colle à ses films, utilise donc le ressort lingual dans son dernier métrage, Somewhere. Mais à l'image de son cinéma, romantiquement dépressif mais toujours tendance, son personnage s'endort entre les cuisses d'une charmante mannequin, repu de sa vie de star et désabusé par les plaisirs charnels. Et tant pis pour la donzelle. Comme quoi une metteuse en scène peut se montrer encore plus phallocrate que ses condisciples testostéronés en refusant la jouissance à ses actrices.

 

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Quant à la France, elle réutilise aussi le vieux pot cul pour servir sa soupe, même si elle évite les écueils du cliché. Dans Tournée de Mathieu Almaric, l'une des stripteaseuses drague un inconnu dans un bar avant de l'embarquer aux chiottes - lieu décidément très prisé au cinéma pour la bagatelle. Mais contre toute attente elle ne se fait pas trousser mais lécher, ce qui indique que le curseur plaisir de la scène est bien entre les mains du personnage féminin et non entre celles du mâle, transformé en « vibrolécheur » moderne. Cette réification, appréhension majeure des hommes apeurés d'être réduits à une simple langue, est malheureusement un peu plombée par l'indétermination du partenaire. On retombe en effet sur l'habituel « sex with stranger », pulsion plutôt masculine, qui dénote avec le ton libertaire et féministe du film. Quand les femmes se libèrent, elles veulent baiser comme des hommes... Pas sûr qu'il s'agisse vraiment d'une émancipation.

 

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Si la représentation du cunni se calque sur celle de la fellation, un cliché chassera juste l'autre. Et puisqu'on évoque le cliché, Q se pose là. Le nouveau film de Laurent Bouhnik revisite la matière pornographique (comment montrer le cul au ciné, vaste question) pour tenter d'exorciser le tabou de son évocation à l'écran. Deux séquences s'attèlent donc au cunnilingus : une lesbienne de facture très classique et une autre récupérée pour l'affiche du film. L'héroïne debout, un homme affairé à genoux devant elle, se présente nue, seulement « vêtue » d'une cravate. Cette image d'un pouvoir inversé, au-delà d'être un poil facile, indique surtout l'incapacité à penser la sexualité féminine (et le cunnilingus en particulier) en dehors d'un schéma de mecs. De victime, la femme se dresse en dominatrice, mais usant des codes virils, son désir d'affranchissement se mue en caricature. La femme serait-elle finalement un homme comme les autres ?

 

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Semée de vraies révolutions et de faux scandales, la quête de visibilité du cunnilingus fut ardue. De 1958 (Les amants de Louis Malle considéré comme le pionnier) à 2011, le sexe filmé a largement contribué à l'édification de conventions entre hommes et femmes dépassant souvent le cadre de la salle obscure. Mais la route est encore longue pour que la jouissance féminine accède à la notoriété qu'elle mérite. En attendant, la meilleure réponse aux clichés très masculins sur le plaisir féminin reste indubitablement celle de Meg Ryan simulant un orgasme dans Quand Harry rencontre Sally. Savoureux !

Plus extrême, mais plus allégorique aussi, le cunnilingus prodigué par Vincent Gallo dans Trouble every day de Claire Denis joue à fond le symbole de la dévoration. Liant plaisir et souffrance, le film horrifie plus qu'il n'excite mais pousse la réflexion du don de l'intime que représente le cunnilingus. Il n'est pas anodin qu'il ait fallu attendre une femme derrière la caméra pour sonder les pulsions traversant ce rite sexuel. Ouvrir ses jambes pour une fille c'est comme ouvrir son âme. A ses risques et périls...

 

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Mar 20 sep 2011 Aucun commentaire